Le Kévin

Doit-on craindre la colère des noobs les nuits de pleine lune ?

Alors que Blizzard annonce pour le 16 janvier une extension de son jeu massif et persistant World of Warcraft, on me demande encore – plus ou moins ouvertement, il est vrai –, des précisions langagières : « Professeur, pourquoi s’en prendre aux kevins quand il y en a de si beaux, depuis Danse avec les loups (que ma mère adore) jusqu’à Kevin Shields, trop top craquant ? » (Rose, fille de sa mère) ; « Doit-on craindre la colère des noobs les nuits de pleine lune ? » (Al et Loula, apprentis mystiques).

La planète Net - si vous me permettez cette rime pauvrette-, est un territoire sans fin, peuplé infiniment. Voyeurs ou actants, nous catégorisons pour une appréhension la plus globale possible - comme on jette un regard circulaire et anticipatoire quand on entre dans une pièce pour y percevoir les volumes, nos éventuels congénères, etc.

Parce que l’autre est, sur la Toile, du domaine de l’impalpable (je mets de côté l’utilisation encore marginale des webcams), son appréhension est essentielle. Nos archiancètres s’évaluaient à l’odeur, à la vue et au toucher ; sur le Net, nous nous estimons sur quelques mots échangés sur un forum, un jeu...

En conditions, ça donne ceci : le forum de recettes de cuisine, que fréquente Francine B, mère au foyer, est, assure-t-elle, peuplé d’ « analpha-biques » - comprenez, des vieilles peaux à la syntaxe bancale. Autre exemple, Fredo Siricky, "surfeur pourvu" assure que son blog a été infesté par une bande de « réactionnet » - entendez, des internautes peu sensibles à ses propos (parfois graveleux, il faut bien le dire).

Francine B et Fredo Siricky, selon un phénomène cognitif déjà vu dans la vie réelle, appréhendent l’inconnu dans ce qu’il a de problématique en le catégorisant, puis en le nommant. Alors que Francine n’éprouvera pas le besoin d’affubler d’une étiquette ceux qu’elle considère inconsciemment comme ses pairs parce qu’ils écrivent « correctement », elle nomme ceux qui la gêne, les identifie dans un réflexe de défense, et dans l’éventualité d’une réplique.

Ainsi naissent les noms d’oiseaux. Ils se généralisent ensuite sur les forums, et leur propagation (le fait qu’ils deviennent le mot idoine dans telle circonstance) dépend d’un large nombre de paramètres (facilité à être mémorisés, sonorités ludiques ou agréables, etc.).

Noob, contraction de newbie, lui-même contraction de « new beginner », désigne un internaute nouveau sur un tchat, un jeu... Quoi que désignant originellement le fait d’être débutant, le terme peut se charger, selon les espaces du Web où l’on se trouve d’une connotation péjorative, voire franchement insultante. Ainsi peut-on se voir accueilli gentiment en tant que newbie sur un forum et se faire traiter de « sale noob ta race » sur un autre : tout est affaire d’environnement.

Ou presque. Car concernant le kevin (ou k3v1n), la règle est la même partout. Kevin Mitnick, hacker éponyme, sévit dès les années 80. Plusieurs fois condamné, multirécidiviste, la dérive de son prénom sur la Toile a gardé ses qualités de nuisible acharné immature. Un kevin joue les grands, en fait des tonnes pour avoir l’air d’un super-hacker, brouillant les pistes à coups d’abus de langage SMS, et tirant une grande fierté de ses encodages maison. Il est bidon mais fier.

Pour finir, et rester dans la kevinophobie, l’insulte du moment : « T’as 12 ans. »

Vous voilà prévenu.

Bonne quinzaine sur vos écrans.